…L'erreur des premiers géométriques fut toutefois de vouloir dévoiler une prétendue harmonie fondamentale du cosmos, et de plier au projet le langage de la géométrie en le forçant à accoucher de rapports qui plastiquement expriment le re­pos. Toute la démarche relève, à l'évidence, d'un esprit métaphysique qui, par un coup de force, érige en Absolu un moment particulier de l'histoire de la Raison, celui où, marqué encore par l'idéalisme platonicien, le rationalisme conçoit le monde comme un système de rapports équilibrés. Il ne s'agit donc pas, malgré l'intention affichée, de se mettre à l'écoute du réel mais de dire comment il doit être. …

… Il est urgent de faire tomber les murs de cette prison; de casser la droite, de briser le cercle. Jusqu'à présent le géométrisme a été victime de la domination conjointe de la métaphysique et de l'éthique. Il faut le faire descendre du ciel des idéaux moraux sur la terre, le remettre sur ses pieds, lui donner un ancrage dans les pratiques scientifiques et les mouvements convulsifs de l'histoire où se forge lentement une rationalité nouvelle. Nous sommes trop avertis, trop lucides pour croire encore en une harmo­nie universelle. Les événements décisifs de cette fin de siècle, qu'ils soient d'ordre politique, économique ou scientifique, le confirment sans cesse: une dialectique subtile de l'ordre et du désordre préside au cours des choses. Le monde a perdu sa stabilité rassurante,…

Fernand Fournier, 1992